Un article de Hans Zolner paru dans la revue Études oct. 2021
Les récentes affaires d’abus sexuels dans l’Église obligent à regarder les choses en face. La prise de conscience est tardive. Bien que des lieux de formation se mettent en place, toutes les Églises locales n’ont pas encore pris la mesure du phénomène. Le scandale des abus sexuels par des personnes « consacrées » soulève de graves questions de fond qui restent encore largement ouvertes.
Plan de l’article
- Une situation encore contrastée
- Prendre en compte les contextes locaux
- Prendre la psychologie au sérieux
- Importance de la prévention
- Dimension théologique
Depuis février 2016, des événements se succèdent coup sur coup : la mise en accusation du cardinal Philippe Barbarin, l’audition du cardinal George Pell par la Commission royale australienne en raison de plaintes pour dissimulation d’informations et l’Oscar attribué au film Spotlight qui traite des scandales de Boston de 2002. En France, les cas d’abus sexuels sur mineurs commis par des prêtres catholiques ont fait la Une des journaux et ont circulé sur les réseaux sociaux. Les catholiques sont troublés lorsque, semaine après semaine et mois après mois, sont rendus publics des cas d’abus flagrants de clercs et de collaborateurs laïcs, et des tentatives pour étouffer ces affaires.
La défense de l’image de l’institution l’emporterait-elle sur la compassion à l’égard des victimes ? D’un point de vue purement humain, on comprend la tentation de faire profil bas ou de riposter. Mais si l’on considère plus attentivement les événements de ces derniers mois, on peut arriver au résultat que, dans ce cas, ces mauvaises nouvelles pourraient – enfin – être une bonne nouvelle pour l’Église.
Une situation encore contrastée
Des nouvelles similaires ne manqueront pas d’être rendues publiques dans les prochains mois et les prochaines années. Il y en aura encore beaucoup, notamment si nous considérons la situation au plan mondial, et ce seront autant de témoignages terribles de négligences voulues ou consenties à l’égard du devoir de vigilance et de sollicitude humaine et chrétienne le plus élémentaire. Mais on peut penser que ce seront aussi des signes provocateurs d’un renouveau. C’est seulement là où les abcès sont crevés qu’un processus de guérison peut s’engager. Nul doute que cela arrive des décennies trop tard et que la prise de conscience ne se fait pas aussi rapidement qu’on pourrait l’espérer. Lorsqu’on a à l’esprit la dimension globale de l’Église catholique et de ses institutions, il en ressort une vision très contrastée de l’attitude qui prévaut quant à la sensibilisation et aux mesures de prévention des abus sexuels sur mineurs. Il faut bien se rendre compte que l’Église catholique compte plus d’un milliard deux cent vingt millions de fidèles dans environ 200 pays. Plus de 200 000 écoles sont sous tutelle catholique et celles-ci se trouvent dans des contextes financiers, juridiques et culturels les plus divers. Il en va de même pour les quelque 1 350 universités catholiques, tout comme pour les centaines de milliers de crèches, écoles maternelles, orphelinats, ateliers protégés, services d’aide sociale, hôpitaux, hospices et bien d’autres encore. Dans quelques pays – États-Unis, Australie, Irlande, Allemagne et Autriche –, l’Église a mis en place des mesures de prévention généralisée en réaction aux scandales qui y ont été rendus publics. Elle y forme des collaborateurs professionnels ou réguliers de tous niveaux et dans tous les domaines. Cependant, dans de nombreuses communautés locales, elle rencontre encore une forte résistance passive qui s’oppose à la sensibilisation, à l’intervention et à la prévention des abus sexuels. Et l’on peut encore constater que l’Église catholique – contrairement à la perception courante et aux représentations personnelles – n’a pas, du moins dans ce domaine, de hiérarchie clairement structurée dont le rôle serait d’établir et de mettre en œuvre les directives appropriées. Les mécanismes de contrôle, qui seraient évidents dans le secteur public et économique, n’y sont pas présents.
Pourtant, en observant l’Église à l’échelle mondiale, la balance penche lentement mais sûrement du bon côté. Le traitement des abus sexuels de mineurs par des prêtres est exigé sans ambiguïté par des responsables de l’Église au plus haut niveau, dont le pape Benoît XVI et le pape François. À cet égard, ce dernier a donné des signes personnels et structurels clairs. Sa rencontre avec des victimes aux États-Unis ainsi que dans sa résidence de la maison Sainte-Marthe ont été des moments profondément émouvants et salutaires. La mise en place d’une « Commission pontificale pour la protection des mineurs » (Pro tutela minorum) en mars 2014 souligne à quel point le bien et l’intégrité des enfants et des adolescents lui tiennent à cœur.
Une attitude qui accorde la priorité absolue aux enfants ne se constate pas partout
Au plus haut niveau de l’Église universelle, les conditions matérielles et structurelles pour que la protection infantile puisse progresser de manière conséquente et efficace sont en place. (suite abonnés)