Article de Pierre De Charentenay publié dans la revue Études, oct. 2021.
Dix ans ont passé depuis la publication dans Études, en septembre 2010, de l’article « L’Église face à la pédophilie »qui faisait le point sur la question des abus sexuels sur les mineurs à l’époque. Bien des événements se sont produits depuis lors, et des tendances apparaissent qu’il semble utile d’analyser. Une meilleure compréhension des dérives et des dégâts humains est devenue possible.
Plan de l’article
- Des révélations fracassantes
- Deux cas, le Chili et la Pologne
- La chute des hiérarques
- La multiplication des commissions d’enquête
- Le « Sommet sur les abus sexuels » à Rome
- Un système à quatre pieds
- Libération et souffrance
L’année 2010 apparaît comme une charnière entre deux époques. Il est évident qu’il n’y a pas de complot derrière toutes ces révélations en Belgique, en Allemagne, en Autriche et en Pologne, mais la conjonction de plusieurs facteurs : une présence plus active et plus forte des victimes, une amplification médiatique considérable, l’action des papes Benoît XVI et François.
Nous revenons sur cette période de dix ans en deux parties, d’abord en faisant le point des révélations qui se sont produites pendant cette décennie, pour en montrer quelques mécanismes essentiels, ensuite en décrivant ce qui apparaît comme un système d’abus sous la forme de quatre colonnes qui le sous-tendent : le cléricalisme, la gnose, le charisme et l’emprise spirituelle.
Des révélations fracassantes
Lassée par les titres de la presse, l’opinion a cru un moment qu’elle ne pourrait pas en découvrir davantage dans cette nouvelle décennie. Mais celle-ci restera comme une avalanche de révélations ayant atteint des sommets et donnant aux médias l’occasion de faire leurs gros titres sur la pédophilie dans l’Église.
Pour ordonner notre réflexion, nous commencerons par examiner deux cas nationaux de la fin des années 2010 qui se sont avérés être des archétypes de ces événements.
Deux cas, le Chili et la Pologne
Au Chili, la décennie des années 2000 avait vu la chute du très respecté père Fernando Karadima pour pédophilie et crimes sexuels. En 2011, il était condamné par l’Église à une vie « de pénitence et de prière ». Mais l’affaire ne s’arrêtait pas là. Le pape François lui-même a été rattrapé par cette histoire lors de son voyage au Chili, du 15 au 18 janvier 2018. Un des évêques du Chili, Mgr Juan Barros, faisait l’objet de soupçons sur le fait d’avoir couvert les agissements du père Karadima. Le pape l’a défendu en parlant de « calomnies » à l’égard de cet évêque. Troublé par ce voyage et les récits des victimes, le pape a envoyé son émissaire spécial dans ces matières, Mgr Charles Scicluna, qui lui a rendu un rapport accablant, en décrivant une culture d’abus au sein de l’Église chilienne. (suite réservée aux abonnés)